Pourquoi ne porte-t-on plus de chapeaux? (2024)

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Si on vous demande d'imaginer un chapeau, quelle est la première forme qui vous vient à l'esprit? Il y a l'embarras du choix. Car si le mot désigne une coiffure de forme souvent rigide, les sociétés ont, jusqu'à aujourd'hui, adopté tout un ensemble de couvre-chefs: hauts-de-forme, bicornes, chapeaux cloche mais aussi bonnets, voiles ou coiffes en tissu... «Il y a une infinité de choses qu'on peut se mettre sur la tête», résume Tiphaine Gaumy, docteure en histoire moderne.

«Le fait de se couvrir la tête remonte à très loin dans l'histoire de l'humanité, avec l'objectif de se protéger contre les éléments. C'est une constante de toutes les époques, précise-t-elle. Vous aviez déjà des chapeaux dans l'Antiquité gréco-romaine: les pileus [le bonnet de feutre des esclaves affranchis, ndlr], par exemple.» Aux origines du chapeau, il y a en effet le climat: on cherche à se protéger la tête du soleil, de la pluie, du froid. Mais le couvre-chef a aussi rapidement endossé un rôle beaucoup plus symbolique, notamment social.

Le fameux pileus de l'Antiquité était ainsi tout d'abord porté comme une protection par les ouvriers ou les marins en Grèce antique, avant de devenir le symbole de la liberté pour les esclaves romains affranchis. Il est d'ailleurs l'ancêtre du bonnet phrygien. «Les couvre-chefs sont au départ nés pour des raisons pratiques. Les gens se sont ensuite appuyés sur les usages qui en étaient faits au quotidien pour en extrapoler des significations et pour représenter certaines catégories sociales.»

Pouvoir et richesse

Loin de n'être qu'un accessoire vestimentaire, le chapeau est devenu, au fil des siècles, un moyen d'identifier l'autre. Et surtout, à partir de la fin du Moyen Âge, de différencier les riches des pauvres: les matériaux utilisés pour confectionner les chapeaux des premiers étaient en effet bien différents de ceux couvrant le crâne des seconds. «À l'époque moderne [entre le XVe et le XVIIIe siècle, ndlr], par exemple, le castor est utilisé par les classes aisées, car il est excessivement cher, près de trente fois plus qu'un chapeau de laine commune», relate Tiphaine Gaumy, autrice d'une thèse sur le chapeau à Paris au XVIIe siècle.

Fabriqué avec des matières luxueuses, agrémenté de plumes ou de bijoux, de fleurs ou de rubans, il portait tout un discours et permettait à chacun de montrer son identité. L'exemple du chapeau haut-de-forme est éloquent: apparu au XIXe siècle, il était porté par les élites et symbolisait la finance, aux antipodes des casquettes alors portées par les ouvriers. «Pour les membres royaux, c'est une couronne, donc aussi un couvre-chef. C'était un symbole de pouvoir», ajoute Frédéric Monneyron, sociologue de la mode.

Le style du couvre-chef variait aussi selon le sexe de la personne coiffée. En France, les femmes ont ainsi longtemps porté des chaperons ou des coiffes plutôt que des chapeaux, jusqu'à ce que ces derniers soient remis à l'honneur lors de l'apparition des modistes au XVIIIe siècle. Dans les années 1920, le chapeau cloche, plus minimaliste et plus masculin, est par la suite devenu un symbole d'émancipation, en libérant les femmes de leurs encombrantes tenues.

Le poids religieux qui pèse sur la tête des femmes

Si les significations des chapeaux et autres coiffes ont évolué à travers les siècles, le fait de se couvrir la tête a toutefois toujours conservé une portée religieuse, en particulier pour les femmes. «Dans le monde occidental, on leur demande de se couvrir les cheveux depuis toujours, c'est écrit dans la Première Épître aux Corinthiens de saint Paul, commente l'historienne Tiphaine Gaumy. Sortir tête nue pouvait avoir des conséquences très graves. À l'époque moderne, une femme qui sortait sans couvre-chef ou mal coiffée était assimilée à une prostituée et se voyait retirer sa qualité de femme honnête.»

Cette fonction religieuse est d'ailleurs la seule à demeurer aujourd'hui: kippa chez les juifs, kufi chez les musulmans, voile chez les femmes islamiques ou catholiques... Chaque couvre-chef incarne toujours la soumission à une divinité ou reste un signe d'humilité. Et son abandon est encore source de lutte aujourd'hui, comme l'illustre l'actuelle révolte des femmes iraniennes cristallisée autour du voile.

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Même si le poids religieux pesait et pèse surtout sur les femmes, le port d'un couvre-chef et ses usages engage toute la population: autrefois, les hommes ne se découvrant pas la tête en signe de respect au moment opportun pouvaient risquer jusqu'au lynchage. Sortir coiffé d'un bonnet, d'un chaperon ou d'un chapeau adapté à la situation est également longtemps resté la marque de l'honnête citoyen.

«On ne sait pas où le mettre!»

Mais alors, comment est-on passé d'un incontournable du costume, d'un élément essentiel du discours social, à un accessoire de mode souvent délaissé? «Au tournant du XXe siècle, au moment de la Première Guerre mondiale, on remarque un déclin de tous les types de couvre-chefs, tant pour les hommes que pour les femmes, explique Tiphaine Gaumy. [Ce délaissem*nt] est vraiment acté à la fin de la Seconde Guerre mondiale, notamment pour des raisons pratiques, parce que ce n'est pas commode de porter un chapeau à l'usine.»

Selon Frédéric Monneyron, auteur du Que sais-je? La Sociologie de la mode, c'est en effet la simplification des tenues et le choix du confort qui a poussé le chapeau vers la sortie. «Pendant tout le XIXe siècle, les femmes portaient des chapeaux très encombrants. Au début du XXe siècle, une grande révolution apparaît dans la mode: le grand couturier Paul Poiret tend à simplifier le vêtement féminin, avec des chapeaux plus discrets.»

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Les couvre-chefs féminins ont néanmoins résisté plus longtemps. Jusqu'aux années 1960, les créateurs ont continué à imaginer des chapeaux pour femmes, à l'instar de la capeline. Mais son rôle prédominant, emprunt d'une charge sociale forte, n'est pas revenu. «C'est le côté pratique qui l'emporte. Le chapeau, on ne sait pas où le mettre», poursuit le sociologue. Si la pluie n'a pas arrêté de tomber, femmes comme hommes ont aujourd'hui remplacé le chapeau par le parapluie, autrement plus simple à glisser dans un sac. «Et puis, on vit beaucoup plus à l'intérieur: au travail, chez soi, dans sa voiture. Le temps où l'on était dehors, exposés, et où on avait besoin d'un chapeau est révolu.»

Par ailleurs, les différences vestimentaires ont tendance à se gommer dans les sociétés actuelles. «Lorsque l'on porte un chapeau aujourd'hui, on entend parfois “Pour qui il se prend, celui-là?”, assure Frédéric Monneyron. L'essor de la démocratie et de principes comme l'égalité jouent aussi un rôle dans le fait que l'on en porte moins. Le chapeau reste marqué comme un accessoire des classes dominantes.» C'est précisément pour cette raison que l'historienne Tiphaine Gaumy n'imagine pas son retour en grâce: «Selon moi, l'époque du chapeau en France est révolue. Je vois mal comment, dans une société si laïque, si attachée à l'aspect pratique, il puisse revenir avec une telle charge politique et sociale.»

Disparu, le couvre-chef?

Mais si les pays occidentaux ont bel et bien délaissé le couvre-chef, en dehors d'événements très codifiés et guindés ou dans le cadre de l'exercice de certaines professions, certaines parties du monde y restent relativement attachées. Ainsi du chapeau de cow-boy qui reste populaire aux États-Unis, en particulier au Texas, ou encore de la casquette de baseball. Globalement, «c'est sans doute le chapeau d'été qui résiste le mieux parce qu'il a encore une vraie utilité: il protège du soleil, analyse Frédéric Monneyron. C'est le cas du panama, ou du sombrero mexicain

Il n'est par ailleurs pas impossible que la mode du chapeau revienne un jour. «Peut-être que les artistes auraient un rôle à jouer dans le retour de couvre-chefs variés dans notre quotidien. Ou une célébrité pourrait éventuellement en relancer la tendance», s'aventure le sociologue qui, toutefois, «persiste à croire que la mode s'est simplifiée et que ça restera ainsi».

L'historienne Tiphaine Gaumy rappelle tout de même que le couvre-chef existe toujours, sous une forme certes plus moderne que le haut-de-forme, et que l'un d'entre eux «a traversé toutes les époques et reste populaire»: le bonnet. «Il a une forme assez simple, il tient chaud et il est fait en tricot, donc tout le monde peut le faire.» Alors, qui a dit qu'on ne portait plus de chapeaux?

As an enthusiast with a deep understanding of the history and cultural significance of headwear, I find the provided article fascinating. My expertise in the subject allows me to elucidate the various concepts and historical nuances embedded in the text.

The article discusses the evolution of headwear throughout history, highlighting its practical origins in protecting against the elements, such as sun, rain, and cold. The author mentions the diverse array of head coverings, including top hats, bicorns, cloche hats, bonnets, veils, and fabric coiffures. This diversity, as mentioned by Tiphaine Gaumy, a historian, reflects the rich history of headgear across different societies.

The symbolic role of headwear is a recurring theme in the article. From the ancient pileus in Greco-Roman times to the modern high hat symbolizing financial elites, headwear has served as a means to identify social status and convey messages about power and wealth. The materials used in crafting hats often differentiated the rich from the poor, as exemplified by the expensive beaver used by the affluent during the 17th century in Paris.

Moreover, the article delves into the gender-specific styles of headwear. It notes the historical preference for women to wear chaperons or coiffes, transitioning to hats with the rise of modistes in the 18th century. The shift in women's headwear, like the adoption of the cloche hat in the 1920s, is presented as a symbol of emancipation.

Religious and societal pressures related to head covering for women are discussed, citing historical instances where women were expected to cover their hair as a sign of modesty. The persistence of religious significance in headwear is evident today, seen in various forms such as the kippa, kufi, and veils among different religious groups.

The decline of headwear, especially after World War II, is attributed to practical reasons and changes in fashion trends. The simplification of attire and the emphasis on comfort contributed to the diminishing popularity of hats. This decline is contrasted with historical periods when not wearing a hat was socially consequential.

The article also touches on the potential resurgence of headwear, particularly in certain regions or for specific purposes. It suggests that the practicality of summer hats, like the panama or Mexican sombrero, may contribute to their continued popularity. However, the overall consensus, as expressed by the sociologist Frédéric Monneyron, is that the era of widespread hat-wearing, especially in Western societies, is likely a thing of the past.

In conclusion, the article provides a comprehensive exploration of the multifaceted history of headwear, encompassing its practical origins, symbolic significance, and the changing societal attitudes that have influenced its popularity over time.

Pourquoi ne porte-t-on plus de chapeaux? (2024)
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Author: Terrell Hackett

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